Il arrive, tout sourire, les rares cheveux qui lui poussent encore sur le crâne ébouriffés. Bronislaw Geremek est député européen de la Pologne et membre du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe . Jeudi 24 janvier, il tenait une conférence à la faculté de droit de Lille. Et comme il a commencé son discours par un flamboyant, « l’Europe, je l’aime. C’est le rêve de ma vie », j’ai trouvé que ce serait intéressant de retranscrire ses idées par écrit. Pour info, le thème de la conférence était le suivant : « Quelle Europe voulons-nous ? » Ou plutôt quelle Europe veut Bronislaw Geremek ?
Une Europe où règne la liberté et la démocratie, d’abord. Une Europe qui a appris de son passé. « Je me suis beaucoup déplacé à l’étranger. Au début des années 1990, je me suis trouvé au Tadjikistan . J’ai voulu rencontrer le chef de l’opposition. Ca n’a pas été facile, mais j’y suis parvenu. Et, au détour d’une conversation, le voilà qui me dit : « Je suis attaché aux idées européennes de la liberté : quand nous aurons le pouvoir, nous allons exterminer les autres et ensuite, il y aura la stabilité ». A ce moment là, j’ai compris ce qu’était l’Europe : l’Europe, ce ne sont pas seulement des formules de droit, c’est aussi un ensemble de valeurs, de comportements. L’Europe, de par son Histoire, a appris la haine et par le fait, la liberté. L’Europe dans laquelle nous vivons est en contradiction avec son Histoire, et en même temps, elle est dans la continuité de cette Histoire puisqu’elle est exactement le résultat de son expérience. »
Etre des Européens, oui, mais comment ?
En défendant les symboles (la 9e symphonie de Beethoven, le drapeau, la devise « Unis dans la diversité ») de l’Union Européenne. En réunissant les histoires, en construisant une citoyenneté et une identité européenne. En dépassant les nationalismes.
« Le Traité de Lisbonne va faire progresser l’Europe, il n’y a pas de doutes là-dessus. Mais, quand je pense que les Britanniques ont interdit l’inscription des symboles dans ce traité, je ne comprends pas. Ca me fait de la peine qu’on n’ait pas osé défendre ces symboles parce qu’on a besoin de références symboliques pour construire l’Europe. On a besoin d’une identité et d’une mémoire commune. C’est forcément plus facile de réunir les économies, les administrations que de réunir les mémoires. Encore aujourd’hui, quand les représentants des pays baltes rappellent, lors de séances au Parlement européen, qu’ils ont été annexés par le grand empire Russe après la seconde guerre mondiale, il y a toujours une gêne dans l’assemblée.
A la fin du XIXe, un homme politique italien, Massimo d’Azeglio, disait : « Nous avons fait l’Italie, maintenant, il faut faire les Italiens ». Nous, nous avons fait l’Europe, nous n’avons pas encore fait des Européens. Mais je crois en la nouvelle génération d’Européens pour qu’ils dépassent les préjugés. Je pense que l’éducation est le problème majeur de l’UE : il faut que les gens apprennent à se connaître les uns les autres, qu’on arrête de visualiser la Pologne à travers ses plombiers, qu’on arrête de percevoir la Roumanie comme un pays exotique. Ensuite, l’identité européenne, vous la retrouverez comme moi je la retrouve quand je suis loin de l’Europe. Pour être honnête, je pense que ce qu’il manque à la construction d’une identité européenne, c’est le diable. Quand il y a de la peur, le sentiment communautaire est bien plus fort. Au XIIIe, on était unis contre les Tartares, au XVe contre les Turcs, et maintenant, on vit tellement en harmonie que l’on ne se rend plus compte du bonheur de vivre ensemble. Pourquoi voulons-nous être ensemble, au juste ? Pour nous défendre nous-mêmes et pour défendre les autres. »
L’UE et l’ouverture vers l’extérieur
« Je voudrais que l’Europe soit forte sur la scène internationale. Elle ne joue pas le rôle qu’elle devrait jouer. Je voudrais que l’Europe soit consciente qu’elle représente l’héritage de l’Occident. La différence entre les Etats-Unis et l’Europe, c’est notre Histoire. De par son expérience, l’Europe refuse d’appliquer la force et a compris qu’il faut parfois savoir se réconcilier. L’Europe, c’est aussi le sentiment que la force est parfois moins forte que le savoir (c’est la devise de l’université de Cracovie, ville située au sud de la Pologne). A l’inverse, les Etats-Unis ont plus une image de cow-boy dans leur imaginaire collectif, celle pour laquelle il ne faut jamais perdre.
L’UE et l’élargissement
« Je garde toujours un souvenir très ému du 1er mai 2004, quand la Pologne est entrée dans l’Union européenne. A ce moment-là, les Polonais étaient majoritairement eurosceptiques, surtout dans les milieux ruraux. Ils craignaient qu’il n’y ait pas de place pour leurs traditions dans l’Union européenne mais ils ont rapidement changé d’avis. En 2004, 80 % des agriculteurs polonais pensaient que l’UE n’était pas acceptable. En 2007, ils étaient 68 % à penser l’inverse ! Je pense que l’Union européenne n’est pas consciente de sa force. En fait, il faut faire progresser l’idée d’Union européenne AVEC les nations, en excluant les nationalismes, les haines nationales.»
Et vous, âmes perdues qui, peut-être, voyez ces pages, que pensez-vous de l’idée européenne ? De l’identité, de la mémoire, du concept de nation ? Quelle Europe voulez-vous ?