mercredi 30 janvier 2008

« Nous avons fait l’Europe, nous n’avons pas encore fait des Européens »

Il arrive, tout sourire, les rares cheveux qui lui poussent encore sur le crâne ébouriffés. Bronislaw Geremek est député européen de la Pologne et membre du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe . Jeudi 24 janvier, il tenait une conférence à la faculté de droit de Lille. Et comme il a commencé son discours par un flamboyant, « l’Europe, je l’aime. C’est le rêve de ma vie », j’ai trouvé que ce serait intéressant de retranscrire ses idées par écrit. Pour info, le thème de la conférence était le suivant : « Quelle Europe voulons-nous ? » Ou plutôt quelle Europe veut Bronislaw Geremek ?



Une Europe où règne la liberté et la démocratie, d’abord. Une Europe qui a appris de son passé. « Je me suis beaucoup déplacé à l’étranger. Au début des années 1990, je me suis trouvé au Tadjikistan . J’ai voulu rencontrer le chef de l’opposition. Ca n’a pas été facile, mais j’y suis parvenu. Et, au détour d’une conversation, le voilà qui me dit : « Je suis attaché aux idées européennes de la liberté : quand nous aurons le pouvoir, nous allons exterminer les autres et ensuite, il y aura la stabilité ». A ce moment là, j’ai compris ce qu’était l’Europe : l’Europe, ce ne sont pas seulement des formules de droit, c’est aussi un ensemble de valeurs, de comportements. L’Europe, de par son Histoire, a appris la haine et par le fait, la liberté. L’Europe dans laquelle nous vivons est en contradiction avec son Histoire, et en même temps, elle est dans la continuité de cette Histoire puisqu’elle est exactement le résultat de son expérience. »


Etre des Européens, oui, mais comment ?

En défendant les symboles (la 9e symphonie de Beethoven, le drapeau, la devise « Unis dans la diversité ») de l’Union Européenne. En réunissant les histoires, en construisant une citoyenneté et une identité européenne. En dépassant les nationalismes.
« Le Traité de Lisbonne va faire progresser l’Europe, il n’y a pas de doutes là-dessus. Mais, quand je pense que les Britanniques ont interdit l’inscription des symboles dans ce traité, je ne comprends pas. Ca me fait de la peine qu’on n’ait pas osé défendre ces symboles parce qu’on a besoin de références symboliques pour construire l’Europe. On a besoin d’une identité et d’une mémoire commune. C’est forcément plus facile de réunir les économies, les administrations que de réunir les mémoires. Encore aujourd’hui, quand les représentants des pays baltes rappellent, lors de séances au Parlement européen, qu’ils ont été annexés par le grand empire Russe après la seconde guerre mondiale, il y a toujours une gêne dans l’assemblée.
A la fin du XIXe, un homme politique italien, Massimo d’Azeglio, disait : « Nous avons fait l’Italie, maintenant, il faut faire les Italiens ». Nous, nous avons fait l’Europe, nous n’avons pas encore fait des Européens. Mais je crois en la nouvelle génération d’Européens pour qu’ils dépassent les préjugés. Je pense que l’éducation est le problème majeur de l’UE : il faut que les gens apprennent à se connaître les uns les autres, qu’on arrête de visualiser la Pologne à travers ses plombiers, qu’on arrête de percevoir la Roumanie comme un pays exotique. Ensuite, l’identité européenne, vous la retrouverez comme moi je la retrouve quand je suis loin de l’Europe. Pour être honnête, je pense que ce qu’il manque à la construction d’une identité européenne, c’est le diable. Quand il y a de la peur, le sentiment communautaire est bien plus fort. Au XIIIe, on était unis contre les Tartares, au XVe contre les Turcs, et maintenant, on vit tellement en harmonie que l’on ne se rend plus compte du bonheur de vivre ensemble. Pourquoi voulons-nous être ensemble, au juste ? Pour nous défendre nous-mêmes et pour défendre les autres. »

L’UE et l’ouverture vers l’extérieur

« Je voudrais que l’Europe soit forte sur la scène internationale. Elle ne joue pas le rôle qu’elle devrait jouer. Je voudrais que l’Europe soit consciente qu’elle représente l’héritage de l’Occident. La différence entre les Etats-Unis et l’Europe, c’est notre Histoire. De par son expérience, l’Europe refuse d’appliquer la force et a compris qu’il faut parfois savoir se réconcilier. L’Europe, c’est aussi le sentiment que la force est parfois moins forte que le savoir (c’est la devise de l’université de Cracovie, ville située au sud de la Pologne). A l’inverse, les Etats-Unis ont plus une image de cow-boy dans leur imaginaire collectif, celle pour laquelle il ne faut jamais perdre.





L’UE et l’élargissement
« Je garde toujours un souvenir très ému du 1er mai 2004, quand la Pologne est entrée dans l’Union européenne. A ce moment-là, les Polonais étaient majoritairement eurosceptiques, surtout dans les milieux ruraux. Ils craignaient qu’il n’y ait pas de place pour leurs traditions dans l’Union européenne mais ils ont rapidement changé d’avis. En 2004, 80 % des agriculteurs polonais pensaient que l’UE n’était pas acceptable. En 2007, ils étaient 68 % à penser l’inverse ! Je pense que l’Union européenne n’est pas consciente de sa force. En fait, il faut faire progresser l’idée d’Union européenne AVEC les nations, en excluant les nationalismes, les haines nationales.»


Et vous, âmes perdues qui, peut-être, voyez ces pages, que pensez-vous de l’idée européenne ? De l’identité, de la mémoire, du concept de nation ? Quelle Europe voulez-vous ?





jeudi 17 janvier 2008

Espagne : les universités fortement autonomes

La loi d’autonomie des universités espagnoles a été votée en avril 2007. L’occasion de s’attarder sur un système universitaire qui s’est considérablement transformé depuis la mort du franquisme.

Avril 2007. Le gouvernement espagnol vote une loi d’autonomie des universités, les étudiants descendent en nombre dans la rue. Ils reprochent à leurs facultés d’être coupées du monde du travail, de ne pas inclure de stages dans les formations. Le manque de dialogue entre le corps enseignant et les élèves est pointé du doigt. Un constat facilement transposable en France. Pour autant, les jeunes étudiants espagnols ne réfutent ni la sélection aux portes de l’université, ni la future autonomie de leurs établissements.



En votant le 12 avril 2007 cette loi d’autonomie des universités, le gouvernement a voulu dépoussiérer un système universitaire qui datait de 1978. A l’époque, l’Espagne se dote de sa première constitution post-franquisme et doit rédiger à la hâte une loi qui refond totalement un système éducatif mis à mal par le franquisme. Une seule loi organique, adoptée en 2001, est venue la compléter. Mais, en un quart de siècle, le visage de l’université espagnole s’est profondément transformé. Le taux de scolarisation a été multiplié par trois, faisant passer l’Espagne du huitième au troisième rang européen. En 2006 / 2007, la péninsule ibérique comptait 1 503 337 étudiants, répartis entre les universités publiques, privées et catholiques (voir Zoom). Une explosion des effectifs qui nécessitait des adaptations.

La nouvelle loi d'autonomie : quels changements ?

Il y a 25 ans, les étudiants devaient passer un « test de maturité » avant d’entrer à l’université. Aujourd’hui, les élèves doivent réussir un concours pour lequel ils se préparent pendant leurs deux dernières années de lycée, appelé « Prueba de Acceso a la Universidad » (preuve d’accès à l’université - PAU). Une sélection s’opère alors, qui choque beaucoup moins les esprits qu’en France. Alba Limana, étudiante à Madrid en faculté de musique, avoue : « Si un étudiant arrivait à l’université sans avoir jamais joué d’un instrument, il ne pourrait rien montrer ensuite à ses élèves. Pour sortir de la fac avec un niveau de musique professionnel, nous devons avoir fait nos preuves avant. » Avec la loi sur l’autonomie des universités, ces dernières détermineront, à partir de 2010, leurs propres conditions d’admission, auparavant organisées par un décret royal. Autres changements ? Il n’y a pas que les élèves qui auront à souffrir d’une sélection : les enseignants aussi. Les établissements pourront également créer des structures afin de valoriser leur recherche, le parent pauvre de l’université espagnole. Enfin, liberté est laissée à chaque université d’élire son recteur comme elle l’entend, sachant que les enseignants et les chercheurs doivent détenir une représentation majoritaire dans les différents conseils représentatifs.



L'"Espagne des autonomies"

Si parler d’«autonomie » des universités lève moins les foules en Espagne qu’en France, c’est aussi parce que la péninsule ibérique a une culture politique basée sur le local et l’individualisme. On parle même d’« l’Espagne des autonomies ». Le système universitaire repose d’ailleurs en grande partie sur le bon vouloir de 17 communautés autonomes – ces communautés pourraient s’apparenter aux régions françaises. Dès 1978, la plupart des pouvoirs leur sont transférés en matière d’éducation. A l’époque, tout était bon pour mettre fin au système très centralisé et étatique mis en place par le dictateur Franco. L’« l’Espagne des autonomies » fut très vite acceptée. Il faut dire que les communautés autonomes n’avaient jamais vraiment disparu. Depuis la création de l’Espagne, les régions ont toujours eu une forte identité : des langues différentes, des systèmes économiques propres. Ces singularités se confondaient sous le nom de « fueros » et les populations étaient extrêmement attachées à leur respect. Ainsi, ce fort enracinement identitaire a survécu au centralisme du royaume des Bourbons, installé en 1700, puis au franquisme. Aujourd’hui, ces régions ont plus ou moins de compétences sur leurs systèmes universitaires. Pour résumer, généralement, les communautés autonomes sont responsables de la programmation et du financement des universités et établissent les conditions dans lesquelles de nouveaux établissements, publics ou privés, peuvent être créés. L’Etat établit surtout des normes générales en matière d’éducation, notamment pour que les universités adoptent les réformes européennes. Ainsi, même si les systèmes universitaires français et espagnols semblent parfois souffrir de maux comparables, ils n’ont pas la même façon de les guérir.




lundi 7 janvier 2008

Un « triomphe de la démocratie » en Géorgie ?

Soupir de soulagement pour les partisans de Mikheïl Saakachvili. Selon la Commission électorale centrale, le jeune président de la Géorgie a été réélu dimanche 6 janvier 2008, avec environ 52,8 % des suffrages exprimés. 46 % des 3,3 millions d’électeurs se seraient déplacés vers les urnes. Cette réélection est vivement contestée par l’opposition de cette petite république du Caucase, qui dénonce des « résultats truqués ». Démenti de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération Européenne) : malgré quelques « lacunes », le scrutin serait « valide », ayant offert une réelle « concurrence » entre les candidats.

Saakachvili : un bilan contesté



En 2003, Mikheïl Saakachvili est applaudi par les démocrates du monde entier. Leader de la révolution de la Rose, il est élu triomphalement à la tête de la Géorgie en janvier 2004, avec 96 % des voix. Exit les fervents admirateurs de la politique de Moscou. Bienvenue aux supporteurs des Etats-Unis. Pourtant, après une manifestation d’opposants violemment réprimée en novembre dernier et l’intrusion des forces spéciales dans la chaîne d’opposition Imedi, accusée de fomenter un coup d’Etat, les puissances occidentales ont fait pression sur Saakachvili pour qu’il remette son titre en jeu. Des élections anticipées qui ont rapidement tourné au référendum : pour ou contre celui qu’on surnomme « Micha » ? A son actif, un bilan économique et sécuritaire qui laisse songeur : une croissance variant entre 9 et 12 %, des investisseurs étrangers qui se bousculent au portillon, les rangs de la police épurés, une lutte contre la corruption qui semble porter ses fruits. Mais cette politique ultra-libérale a profondément creusé les inégalités : la pilule est difficile à avaler pour des Géorgiens qui restent, dans leur majorité, particulièrement pauvres. Beaucoup de réformes ont été passées en force, et pour cause : à part à Tbilissi, l’opposition reste relativement faible. Accusé d’autoritarisme, le régime de Saakachvili a organisé ces élections anticipées pour se racheter une conduite aux yeux des pays occidentaux qui le soutiennent.

La Géorgie comme enjeu énergétique

Pari, pour partie, réussi. Les occidentaux ont parlé d’un « triomphe de la démocratie ». Pour Georges Bush, la Géorgie est même le « phare de la démocratie ». Mais quel peut bien être l’intérêt des Etats-Unis à défendre ce petit pays du Caucase? En premier lieu, un intérêt énergétique et financier.




La Mer Caspienne contiendrait 110 milliards de barils de pétrole. Son énorme production ne peut être chargée sur des pétroliers qu’à condition d’être d’abord acheminée par oléoduc jusqu’à la mer Noire, la Méditerranée ou le golfe Persique. L’idée des Etats-Unis ? Contourner la Russie, et construire un immense oléoduc baptisé BTC. Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Les bords de la mer Caspienne sont donc reliés aux marchés occidentaux par l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie, ce qui a provoqué la colère de Moscou. Or la Géorgie peut difficilement se permettre de rompre tout contact avec la Russie. Tbilissi a toujours des difficultés à se relever du blocus économique imposé par Moscou depuis 2006. Plus grave : la Russie soutient l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud (voir carte), deux provinces séparatistes, et a donc les cartes en main pour allumer les braises d’une nouvelle guerre civile. La dernière, en 1992, a obligé 250 000 personnes à migrer, provoquant des milliers et des milliers de morts.


Lire le rapport du CEPES sur la guerre civile qui a ravagé la Géorgie dans les années 1990, cliquez ici.
Pour plus d’informations sur l’importance de la politique énergétique en Géorgie, cliquez ici.