Il y a des fantômes qui ont des difficultés à diparaître. Prenez la Securitate, par exemple. Cette police politique a officié en Roumanie pendant la longue période communiste. Des millions de Roumains ont été fichés, surveillés, leurs vies analysées dans les moindres détails. Imaginez un instant que l'atmosphère décrite dans 1984, de Georges Orwell, soit réelle.
Le régime de Ceausescu a pris fin en 1989. Depuis, le démantèlement de la Securitate n’a jamais été officiellement programmé. Garantie morale, un CNSAS (Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate) fut créé en 1999. L’idée ? Permettre un accès aux dossiers de l’ancienne police politique. Pouvoir éventuellement révélé l’identité des hommes politiques qui avaient collaboré avec la police politique. Traian Basescu , le président de la Roumanie, a accepté le transfert des 12 km d’archives de la Securitate en 2005.
Le CNSAS déclaré anti-constitutionnel
Seulement voilà : la semaine dernière (ok, on a vu plus réactif comme blog :), la CCR (Cour Constitutionnelle de Roumanie) a déclaré anti-constitutionnelle la loi sur le fonctionnement du CNSAS. Extrait du communiqué du CCR à la suite de sa décision, le 31 janvier dernier : « Aux termes de l’artcile 147, alinéa 1 de la constitution, la loi en question est suspendue pour une période de 45 jours, pendant laquelle le CNSAS ne pourra pas exercer ses compétences établies par la loi. Si aucune modification législative n’intervient avant l’expiration de ce délai, les dispositions respectives n’auront plus d’effets juridiques ». Autrement dit, bye-bye l’étude des archives de la Securitate. Une poignée de Roumains a manifesté sa colère, dimanche 3 février. Reste à savoir si 500 manifestants peuvent avoir un réel impact, aussi minime soit-il.
« En Roumanie, il y a 23 millions d’habitants et 63 millions d’agents »
La Securitate comme une ombre dont le peuple roumain a du mal à se séparer. Rapportés au nombre d’habitants, ses effectifs étaient les plus importants de toutes les polices secrètes du bloc communiste. Elle fut fondée en 1948, en étroite collaboration avec les officiers soviétiques du KGB – dans les faits, la Securitate existait déjà depuis 1944. Le but ? « Garantir la sécurité de la République populaire de Roumanie contre les ennemis tant intérieurs qu’extérieurs ». Cette police politique était extrêmement bien organisée :
- la D1, la direction la plus importante, faisait la chasse aux dissidents, aux bourgeois, aux réformateurs. Elle s’appuyait sur des milliers d’informateurs : un dicton populaire roumain se moquait : « En Roumanie, il y a 23 millions d’habitants et 63 millions d’agents ». En réalité, il semble qu’un Roumain sur 15 était un informateur, et la Securitate comptait plus de 150 000 salariés à temps plein et 50 000 officiers. Tous signaient un contrat par lequel ils s’engageaient à signaler les menaces à l’encontre de l’Etat. Quitte à dénoncer amis et famille. Vu de France, vingt ans après, cela peut paraître aberrant mais difficile de s’imaginer à quel point ils étaient alors manipulés et humiliés. Des séances de torture et des séjours en prisons où peu sont ressortis vivants maintenaient la population roumaine dans la peur.
- la D2 s’occupait des informations économiques et contrôlait la production, les usines et les instituts de recherche. C’était un des instruments les plus stratégiques de Ceausescu.
- la D3 était celle du contre-espionnage : toutes les communications vocales et électroniques passées en Roumanie en direction de l’étranger étaient surveillées.
- la D4, la direction de la sécurité intérieure, éliminait les dissidents au sein même du Parti communiste et de la Securitate.
Au final, personne n’avait le contrôle total de cet immense appareil.
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