mercredi 26 mars 2008

A Chypre, 1+1 = 1

Espoir de réconciliation entre les Grecs et les Turcs, à Chypre. Pour la première fois depuis l’invasion turque, en 1974, les dirigeants des deux parties de l’île se sont rencontrés à Nicosie, vendredi 21 mars, sous les auspices des Nations Unies.



Autant l’avouer tout de suite : cette rencontre entre le nouveau président chypriote grec, Demetris Christofias, élu le 24 février et le dirigeant de la République turque de Chypre Nord, Mehmet Ali Talat était surtout symbolique. Aucune mesure en faveur d’une réunification rapide des deux parties de l’île n’a été annoncée. Mais les deux parties ont souhaité engager de nouveaux pourparlers - tout en évitant soigneusement les questions qui fâchent. "Nous voulons résoudre le problème chypriote dès que possible", s'est engagé Mehmet Ali Talat. Il espère un accord définitif "d'ici à la fin de l'année 2008". Quant au nouveau président communiste (le seul de l'Union européenne), Demetris Christofias, il a annoncé vouloir tendre "une main de l'amitié au peuple chypriote turc et à ses dirigeants". Pour la première fois, Grecs et Turcs semblent ne plus vouloir se tourner le dos.

Ouverture de la rue Ledra
Depuis lundi dernier, des groupes de travail et des commissions techniques planchent sur le sujet. Première mesure : la réouverture à la circulation de la rue Ledra (photo), à Nicosie, d'ici début avril, bien aidée par quelque 100.000 euros débloqués par la Commission européenne. Cette rue est une véritable artère commerçante, qui traverse du nord au sud la capitale chypriote. Pour le moment, elle ressemble à une course d'obastacles et de pièges, bordée par de multiples maisons et magasins abandonnés. Un premier point de passage, celui du "Ledra Palace", plus éloigné du centre ville, avait été ouvert il y a cinq ans. Depuis, plus rien. Ce sixième point de passage ouvert dans la ligne Verte (appelée ligne Attila côté turc), mur qui sépare le nord du sud du pays, devrait permettre "plus de communication entre les gens, pour réduire le fossé qui s'est creusé entre les populations", selon Demetris Christofias.

Un peu d'histoire
La rue Ledra illustre à elle seule la complexe question chypriote. Revenons en arrière. En 1960, Chypre se sépare de la tutelle britannique. Le Président est grec, le Premier ministre est Turc, mais la paix ne durera pas trois ans. Déjà à l’époque, des exactions intercommunautaires entre Chypriotes grecs et turcs avait initié le regroupement des populations au Nord et au Sud - la ligne verte est née en 1964. En 1967, la dictature des colonels s'installe en Grèce : plus question d'évoquer un rapprochement avec Chypre. Mais le 15 juillet 1974, les Colonels renversent la démocratie chypriote. L'armée turque vient apporter un soutien appuyé à la minorité turque du pays, et fait chuter la dictature grecque. Le problème, c'est que l'armée turque n'est jamais repartie et occupe toujours un tiers du territoire. A l'époque, elle en profite pour imposer par la force la partition de l'île. Le conflit fait environ 6.000 morts et des centaines de disparus. Depuis, les deux parties de l'île n'ont pas évoluées de la même manière. Si la République turque de Chypre Nord est reconnue par la seule Turquie, la République de Chypre Sud est partie intégrante de l'Union Européenne. Il y a quatre ans, les Chypriotes grecs votaient contre le plan de réunification de l'île proposé par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan - Demetris Christofias avait fait campagne contre. De l'autre côté de l'île, les Chypriotes turcs avaient accepté ce plan.

Et après ?
Le rapprochement entre les deux dirigeants chypriotes peut-il vraiment avoir un impact à long terme sur la vie politique complexe de Chypre ? Sur le fond, les positions restent toujours aussi tranchées. M. Christofias était, comme son prédécesseur, Tassos Papadopoulos, un adversaire du plan Annan, qu'il trouvait à la fois impraticable et déséquilibré en faveur de la partie turque. M. Talat, au contraire, veut que ce plan reste la base des pourparlers. Principaux contentieux ? "Les droits de propriété pour les Chypriotes grecs qui ont été chassés en 1974 de leurs terres du Nord et pour les Turcs qui les ont remplacés, l'immigration en provenance de la Turquie, qui a transformé en minorité les Chypriotes turcs d'origine ; enfin, la présence, au nord, de plus de 30 000 soldats turcs." selon Le Monde. Autre souci : pour être élu, M. Christofias a eu besoin du soutien du parti Diko (démocrates de centre-droit) de Tassos Papadopoulos, partisan d'une ligne très conservatrice face aux Chypriotes turcs. Selon la presse locale, il aurait promis à ce parti trois ministères, dont celui des Affaires étrangères. D'ailleurs, l'un des proches conseillers du nouveau président, Georgos Loukaides, avoue : "Les choses deviennent plus difficiles chaque jour. Nous voulons proposer une solution pour montrer que la mauvaise volonté est du côté turc". Du côté turc, c'est la même ambiguité : "La Turquie ne veut pas de solution, car une solution forcerait la Turquie à quitter Chypre, estime Ibrahim Aziz, collaborateur de la chaîne de télévision privée Antenna, et opposant notoire au régime pro-turc du nord. Et Talat est une marionnette d'Ankara."

Reste donc à savoir si cette main tendue ne va pas s'effacer avec le temps. Prochains éléments de réponse dans trois mois.

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